Théodore Rousseau au Petit Palais
Quelle joie de découvrir au Petit Palais l’exposition d’un peintre que l’on voit peu, trop peu à mon goût !
Notre époque, totalement en perte de repères artistiques — l’art étant devenu ce grand fourre-tout idéologique — commence enfin à prendre conscience du siècle qui vient de s’achever et de la difficulté de lui donner une continuité artistique logique. Vous me direz, il était temps ! Cela fait plus de cent ans que la vision de l’art s’est inversé. Rodin, dans ses entretiens avec Paul Gsell en 1911, déplore ce changement qu’il identifie très justement : « l’art est mort (…) l’art, c’est la contemplation. C’est le plaisir de l’esprit qui pénètre dans la nature et qui y devine l’esprit dont elle est elle-même animée. ». Autrement dit, l’art est pour les artistes du XIXe l’équivalent d’une quête spirituelle. C’est un cheminement qui part de l’homme pour aller vers la réalité, dans le but de l’exprimer par le truchement de la matière. Aujourd’hui l’artiste prend le chemin inverse, il se sert de la réalité comme d’un faire-valoir pour s’exprimer lui-même. Le nez à la place de l’oreille et la bouche sur le front, tout est bon pour se distinguer des autres et prendre la lumière. Et la quête spirituelle dans tout ça ? Par pudeur, n’en parlons pas. Rodin aura vécu suffisamment vieux pour être le témoin de se renversement.
Cette ancienne manière de penser l’art répondait à un besoin humain très profond, celui de comprendre le monde sensoriel qui nous entoure et dont la complexité nous demeure insaisissable. L’artiste partait décrocher de petits morceaux de réalités qu’il peaufinait dans son atelier afin d’en tirer une synthèse idéale qu’il rapportait à ses semblables pour leur faire part de sa victoire sur l’incompréhensible de notre humaine condition.
Cette synthèse idéale, c’est exactement ce que réalise Théodore Rousseau dans sa nature. On y sent tout, l’humidité des sous-bois, la lumière grasse qui s’étale sur les troncs contraste avec le sombre mystère de la végétation. Quel luxe ! Quelle générosité dans la matière, quelle sensualité que ces amoncellements d’écorces, de feuilles, de branches, de boues et de roches. Tout à coup, un trait de ciel d’un gris net vient briser ce chaos et ça et là, une vache, une brebis ou une paysanne s’en vont, ignorantes de toute cette lutte. On y devine le vent, les odeurs et les bruits des grouillements. Le monde est là devant nous, le peintre à pris soin d’y fourrer tout ce qu’il pouvait saisir.
À voir, toutes affaires cessantes.
Exposition du 5 mars au 7 juillet 2024Petit Palais – Musée des Beaux-Arts de ParisAvenue Winston-Churchill – 75008 Paris