Martine mélange les pages… réécrire l’histoire par l’image

Objet iconique et incontournable des bibliothèques depuis près de 70 ans, les albums de Martine ont traversé le temps tout en conservant au choix, un doux parfum de nostalgie ou une odeur de renfermé. Décryptage.

Quoi qu’on en pense, Martine plaît toujours et ce n’est pas ma fille qui dira le contraire. Ayant hérité d’une grande collection un peu jaunie, j’ai rejoint récemment le rang des conteurs de vieilles histoires. Et puis, pourquoi ne pas compléter cette antique collection avec les nouveaux albums sauf que… tiens, Martine a bien changé.

 

Martine ne fait pas son âge

En comparant les différentes itérations des albums, surprise : les noms des personnages secondaires ont changé, les textes ont été revus et repensés, les illustrations recadrées et redistribuées.

Quelques clics plus tard, je me rends évidement compte que ce lifting a fait grand bruit dans le monde littéraire. Pléthore d’articles sur le sujet où l’on s’étonne de ce changement de ton. Le figaro, le Point, la Presse, …, se sont tous posé la grande question. Pourquoi ce choix opéré par l’éditeur en 2020 ?

Martine se modernise

Si Martine accompagnait autrefois les jeunes filles dans l’apprentissage de la lecture, elle se découvre aujourd’hui dès 4 ans. L’histoire reste la même dans les grandes lignes mais les propos sont ajustés à l’époque.

Les critiques ayant été nombreuses, je vous renvoie à certaines d’entre eux si vous souhaiter approfondir le pourquoi du comment. Ce qui va nous occuper ici, vous vous en doutez, concerne la place des images.

Martine petite fille modèle : la campagne fantasmée des années 50

C’est en 1954 que le personnage de Martine nait sous le pinceau de Marcel Marlier.

Sourire, joues roses et robes dernier cri, la petite fille modèle évolue au fil des albums dans une époque figée dans le temps avec ses couleurs éclatantes et ses plans soignés. Graphiquement, le style très réaliste de Martine se rapproche des clichés de la publicité des années 50, qui reprenait abondamment des physiques débonnaires et des ménagères coquettes. Chaque illustration met l’accent sur un décor de carte postale, particulièrement soigné, aux couleurs flatteuses, où les héros tout sourire vivent des aventures du quotidien… d’autrefois.

Martine-montre-sa-culotte

Martine en toile de fond

Si à l’origine Martine était âgée de 6 ans, elle grandit quelque peu au fil des albums, change régulièrement de coiffure et constamment de vêtements. Martine évolue ainsi dans un monde, qui lui ne change pas. Ces scènes riches en détails, étaient peintes sur toile, chose qui, pour les plus observateurs, se révèle à travers la trame, visible sur les anciens albums de Martine. Ces éléments furent par la suite gommés pour se greffer aux standards illustrés, à l’instar des plans laissant entrevoir la culotte de la jeune fille.

Martine arrête de montrer sa culotte

Quid donc de la Martine de 2020 ?
Prenons pour sujet d’étude l’album Martine fait du camping de 1964 et sa réédition de 2020.
Hormis les changements annoncés par Casterman, c’est l’ossature même du récit qui est remise en question, via un changement dans son chemin de fer.
Les images sont légèrement recadrées pour occuper l’espace, et systématiquement mises en belle page. Les textes sont réduits, placés en page de gauche dans une démarche apparemment plus accessible.

La maison d’édition a donc fait le choix de sélectionner les images qui jalonneraient le récit, et tant qu’à faire, même parfois échanger la place de certaines d’entre elles. Là où nous suivions avant les péripéties de la famille sur un weekend, l’action se concentre sur une seule journée. L’occasion pour Casterman, d’enlever les illustrations les plus éloquentes, comme cette image de galipettes dans les prés (voir plus haut). Le changement majeur étant la position de l’illustration page 8 (1964) en page 17 pour 2020. À vrai dire, rien d’étonnant, quand on voit que l’ancienne version se terminait par la traque d’un veau égaré, dont le gentil petit chien vient croquer les pattes, et que Jean attache à un pieu pour le punir… bonne ambiance.

Martine réécrit l’histoire

Finalement, le texte corrigé nous fait apparaître la traque comme simple jeu de chat, dont la finalité sera pour le coup censurée, au profit de cette fameuse illustration déplacée en fin d’ouvrage, où Martine et ses amis préfèrent éteindre la radio pour écouter le bruit de l’eau.

Un texte certainement plus dans l’air du temps, qui ne s’attaque pas uniquement à la forme désuète du récit, mais bien au fond de l’histoire.

La morale de Martine ?

Martine change de public, et s’offre un lifting intégral pour l’occasion. Si l’histoire reste globalement la même, on constate malgré tout qu’un habile changement de page suffit à transformer une histoire. Ce simple tour de passe-passe donne une nouvelle dimension aux images qui, a priori, sont assez libres d’interprétation.

C’est ironique, quand on sait à quel point les couvertures de Martine sont connues pour leur nombreux détournements. Mais c’est une autre histoire.