Turner à bon port
Le plus avant-gardiste des peintres en provenance britannique fait escale au musée Jacquemart-André du 26 mai 2020 au 11 janvier 2021. Dans une exposition très raffinée, d’une simplicité et d’une efficacité que je regrette de ne pas voir plus souvent. On se concentre sur L’œuvre du peintre, sans fioritures, sans développements dispensables à grand renfort de mauvaises peintures, qui viennent vous gâcher le plaisir afin d’étoffer les contenus à peu de frais. Je ne vise personne. Tout ça pour dire que j’en suis ressorti tout imprégné d’ondés brumeuses, de reflets éblouissants rabattus à la faveur des chaos d’un pinceau devenu si libre dans la main de Turner.



Cette exposition met l’accent sur une part importante du travail de Turner, à savoir l’aquarelle. Ce médium si particulier est moins usité qu’on ne le pense chez les grands peintres. On connait les grands peintres-graveurs comme Rembrandt, Durer ou Picasso… mais de grands peintres aquarellistes ? Eh bien ce n’est pas si fréquent ! Et Turner en est pour moi le plus digne représentant. Et pour cause, il lui arrivait même de mélanger l’huile et l’aquarelle ! Pour les critiques pensant que c’est impossible, que les techniques à l’eau et à l’huile ne se mélangent pas, eh bien sachez que j’en ai fait l’essai personnellement et que cela fonctionne très bien à condition de commencer par l’aquarelle et de rajouter l’huile par dessus après avoir attendu que l’eau sèche. On peut donc supposer que Turner pratiquait ce genre d’excentricité afin de peindre à l’eau sur le motif l’ébauche de son tableau avant de le peaufiner à l’huile dans son atelier, le tout sur papier épais qu’il contrecollait ensuite sur toile. Est ce la stricte réalité ? Personne n’en sait rien mais ça n’aurait rien d’étonnant à une époque si foisonnante de techniques et d’industries. Rappelons que chaque peintre fabriquait (souvent par l’intermédiaire d’assistants) sa peinture maison avec sa recette propre qu’il échangeait parfois avec ses homologues du métier, toujours à la recherche de la matière et de l’outil idéal. Ici, c’est la première partie de l’exposition qui est consacrée à ce travail de prise de notes sur motif, on pourrait trouver cela peut présentable que de monopoliser tant d’espace dans un si petit lieu pour un travail préparatoire mais ce processus est essentiel à la compréhension de l’œuvre du peintre. Il est aussi important de comprendre que ce dernier était en son temps, plus célèbre pour ses aquarelles que pour ses huiles, et qu’il leur doit une bonne partie de ses revenus.
Les grandes œuvres
Les deux dernières salles contiennent un peu moins d’une dizaine de grands formats typiques du peintre, et cela suffit amplement. Si ce n’est le monde, on peut se projeter complètement dans cet univers marin, prendre le temps de passer de l’aquarelle vers ces paysages fantasmés, à la limite de l’abstraction. Petit à petit l’huile se métamorphose au gré des matières en nuage gazeux, les tableaux semblent se figer dans une éternelle évaporation au travers de laquelle l’œil peine avec plaisir à saisir un bout de côte au loin, un vaisseau de passage ou un monstre marin.
Turner entre deux mondes
Exposition du 26 mai 2020 au 31 octobre 2020
Musée Jacquemart-André
158 Boulevard Haussmann, 75008 Paris